Kasia Zelaska, une peintre polonaise habitant à Paris et diplômée de l'académie des beaux-arts de Varsovie, est amoureuse de la géométrie. Comme les anciens Egyptiens et leur élève Pythagore, elle la voit comme un art sacré montrant la structure et l'harmonie de l'univers. Nous savons que l'univers pour les Grecs était un « cosmos » - un ordre divin qui suivait des mouvements perpétuels et équilibrés. Le même esprit se trouve dans les peintures post-minimaliste de Zelaska sur toile et sur bois, fréquemment découpées en formes de nuages elliptiques, de cercles et de courants passant et roulant par des portes et des fenêtres en bois, et toutes sortes d'ajourages.
Ce qui est le plus fascinant dans sa peinture est l'interpénétration de formes « mâles », carrées et rectangulaires, avec des formes « femelles » spiralées, elliptiques et circulaires. Elle flirte souvent avec le vieux problème de la quadrature du cercle. Étonnamment il y a très peu de triangles ou de trapèzes. Cette peinture fortement contemplative est non seulement concernée à définir les formes archétypales mais, par delà leur énergie cosmique, les genres et les manières de son écoulement, de son flux et de ses stases. Zelaska dépeint le monde des quatre éléments (la terre, l'eau, le feu, le vent) en essayant de définir leur structure et leur nature.
Quelques peintures, particulièrement celles qui montrent trois armatures vides de fenêtre (chacune peinte dans une couleur différente), nous rappellent Kazimierz Malewicz, d'autres Lazar Lissitzki et Piet Mondrian, tous de grands maîtres de la rigueur géométrique. Ce qui frappe à première vue dans les peintures de Zelaska c'est la discipline. Rien n'est laissé au hasard. Il est étonnant de trouver une peintre qui ne livre ni ses humeurs, ni ses sentiments mais qui exprime un tel esprit « mâle » d'amour de la discipline et de la logique.
La présentation de son monde de la géométrie n'est pas un cubiste stéréo-métrique mais plutôt orienté-plan. Le spectateur doit faire un effort pour entrer et pour passer au delà et voir à travers des plans se recouvrant les uns les autres. Quelques images sont statiques, restant dans la tradition suprématiste, mais la plupart sont très dynamiques avec un feu brûlant, de l'eau s'écoulant et du vent soufflant au loin. Les vagues et les nuages sont ses récipients d'énergie favoris, une prédilection qu'elle partage avec les anciens peintres chinois Zen.
Oui, Kasia est inspiré non seulement par la tradition européenne de la géométrie sacrée mais également par la tradition orientale et par d'autres arts exotiques. Elle fait appel aux gravures sur bois, à l'origami et aux paravents peints japonais (jetez un coup d'oeil sur les vagues s'écoulant dans des courbures qui s'étendent à l'infini), ainsi qu'aux yantras et aux mandalas inspirés des Hindous. Quelques travaux nous rappellent l'art rituel sur sable des Navajos.
Sa peinture est fortement rationnelle, les émotions sont mises à l'écart, il n'y aucun sentimentalisme, seulement de la clarté et de la sophistication intellectuelle. Quand des formes organiques sont utilisées elles sont également transformées en principes géométriques. J'hésite à appeler son art du post-minimalisme géométrique, c'est trop riche pour cela, il y a tant de couleur, d'élégance et d'enjouement. Kasia joue le jeu des perles de verre et on peut donc appeler sa peinture du géométrisme magique.
Il serait facile de critiquer sa peinture pour être trop graphique, comme si elle n'avait pas accepté la leçon du cubiste. Mais Kasia entreprend une tâche bien plus difficile. Braque ou Gris ont montré les objets sous toutes leurs facettes, tandis qu'elle ramène toutes les dimensions à des couches. Elle préfère le signe abstrait de l'archétype au « tout » multidimensionnel de l'objet. Ici elle reste fidèle à l'esprit ascétique du minimalisme d'abstraction, mais diffuse des tonalités riches, intenses et magiques, et des découpes exquises et capricieuses.
Dans son travail Kasia est une dame très sérieuse, peut-être même trop sérieuse. J'espère, étant donné son énorme sens de l'humour, que si elle dessérait un peu son corset de discipline blindée et osait être plus enjouée et spontanée, sa peinture exsuderait un parfum encore plus fin de liberté.
Le monde des phénomènes est alimenté par la danse des formes géométriques. Les pinceaux des grands maîtres dansent librement. Joan Miro et les grands peintres chinois invitent Kasia à cette danse cosmique avec les planètes, les arbres, les courants et les nuages. « Veux-tu, danser avec moi, Alouette ? » Ai-je demandé à mon épouse après m'être levé de l'ordinateur.
Jacek Dobrowolski